Swarovski, le cristal bohème
Mr Swarovski, le cristal bohème
Ce n'est rien que du verre plombé. De la silice et du sodium ; on pourrait
presque dire du sable et un peu de sel. Derrière son nom de minéral
naturel, se cache une réalité chimique : le cristal se fabrique. Pourtant, il
y a dans ce verre un peu particulier une telle charge émotionnelle que c'est
plus d'alchimie dont il faudrait parler. Du jour où l'homme a réussi à
obtenir une pâte plus ou moins transparente à partir de matières opaques (il
y a quelque 3 500 ans), il n'a eu de cesse de la perfectionner, tendant
toujours vers plus de pureté et de brillance. Comme une quête de l'absolu.
À la fin du XIXe siècle, un nom
autrichien va cristalliser l'aboutissement de cette recherche : Daniel
Swarovski. En 1895, il installe son entreprise dans une usine textile
désaffectée du Tyrol. S'il a décidé de s'expatrier de sa Bohême natale,
qui jouissait pourtant d'une tradition verrière presque tricentenaire, c'est qu'il
avait eu une idée géniale et qu'il voulait l'éloigner au maximum de la
concurrence. «L'invention de ma machine de taille a rendu possible une
nouvelle méthode de fabrication, écrit-il dans ses Mémoires, et l'industrie
tout entière a pris un tour complètement nouveau : une révolution
inattendue. Pour le tailleur comme pour le bijoutier, l'invention a ouvert à
la création un vaste champ des possibles.»
Son procédé industriel de production a rendu la taille du cristal rapide et
précise. Une plus grande teneur en plomb, un factage particulier et un
apprêt d'argent ont permis une réelle limpidité. Si nous n'en saurons pas
plus, c'est que cent onze ans plus tard, le secret est toujours farouchement
gardé. Chaque artisan, chaque ouvrier et même chaque grand responsable
ne connaissent du procédé que la partie qui les concerne ; seuls les héritiers
en maitrisent l'intégralité. Il y a dans ce mystère entretenu depuis cinq
générations une auréole supplémentaire de magie : et si le cristal de
Swarovski était une pierre philosophale ?
Un destin lié à l'histoire de la mode
En 1880, Daniel Swarovski a 18 ans. Il travaille alors pour son père,
déjà artisan verrier, qui l'envoie à Paris, capitale de la mode. Sur place,
le jeune Autrichien découvre les possibilités infinies que la haute couture
offre au cristal taillé. Rebrodée sur une robe de soie, un bustier de lin ou
des gants de velours, la pierre, qui n'a de pierre que le nom, sublime le
textile pour l'habiller d'un peu de lumière. Car c'est l'époque où l'électricité
permet à l'homme d'imaginer des choses insensées : Edison vient d'inventer
une lampe à incandescence et Siémens, la dynamo. Daniel Swarovski, à
l'International Electric Exhibition de Vienne en 1883, réalise que la
lumière va entrer dans la vie des gens pour en changer, non seulement les
habitudes, mais aussi les gouts. Ainsi, une passion pour la transparence,
le brillant et la joaillerie blanche se développe dans toutes les sociétés
occidentales. Les découvertes des mines de diamants en Afrique du Sud
ne font que renforcer le phénomène. Toutes les conditions sont réunies
pour que le cristal et la mode évoluent en parallèle. Gabrielle Chanel,
qui déteste les vraies pierres, trouve dans la pâte de verre la plus belle
expression du bijou. Elsa Schiaparelli, pour une fois d'accord avec sa
grande rivale, fait même le déplacement jusqu'à Wattens pour visiter
l'usine et comprendre au mieux les possibilités d'exploitation pour ses
créations. De nouvelles techniques de taille géométrique ou de colorisation
multiplient l'offre. Le brodeur Lesage possède, aujourd'hui encore, un très
vaste éventail de pierres, témoin de ce qu'a pu être cette couture lumineuse
des années 1920. Si les tendances vont et viennent, il n'y a jamais eu pour
autant de désamour entre l'univers de la mode et le cristal. C'est qu'il en
est devenu un élément constitutif évoluant à son rythme. Quelques
exemples : en 1955, Manfred Swarovski (troisième génération) réalise
pour Christian Dior l'Aurore boréale, dont les couleurs aux reflets arc-
en-ciel sont vaporisées en couche superficielle par opposition à une teinte
dans la masse qui ne produit pas cet effet d'irisation. Dans les années
1970, les techniques de thermocollage sont élaborées, très prisées depuis pour
les textiles et même le papier. À l'occasion de l'ouverture de sa boutique
amirale sur les Champs-Élysées, Louis Vuitton les a utilisées pour
rehausser son Monogramme sur le carton d'invitation. Couture ou
causal, le cristal Swarovski est multi facettes, c'est là sans doute sa plus
grande réussite. En orchestrant son industrialisation, la marque a
démocratisé la verrerie, la rendant accessible à tous. Pour autant elle a su
garder une aura d'exception et brille dans toutes les sphères de la société :
glamour sur une robe longue, sensuelle sur un bustier, sexy sur un maillot,
décalée sur un jogging, fantaisie sur un tatouage de peau... Elle
représente en somme une mise en lumière des intentions de mode des
créateurs.
Consciente de ce statut, Nadja Swarovski, vice-présidente de la
communication internationale, donne régulièrement carte blanche à des
créateurs de mode et de design. On a pu admirer leur inventivité appliquée
au cristal lors du défilé Swarovski Flashions Rocks à Paris, en
janvier dernier.
Figurines et accessoires : les objets finis
Si la fabrication de cristaux taillés (pour la mode, la décoration, la
bijouterie fantaisie, les lustres...) est l'activité historique de Swarovski
, l'objet fini, lui n'arrivera que tardivement. Certes, la marque s'est depuis
longtemps diversifiée : une division d'optique fabrique des jumelles ou des
viseurs d'armes, une autre, des réflecteurs de lumière pour la signalisation
routière, une autre encore, des outils de meulage... mais il manquait le
dernier maillon de la chaine de production. Il arrive par le plus grand
des hasards en 1976. Employé à l'usine de Wattens, au département des
luminaires, Max Schreck s'amuse avec des pampilles de lustre, il les positionne entre elles et
glisse, dans le trou d'attache du cristal, de petites tiges de métal.
La première figurine est née, c'est une souris, elle sera la mascotte des Jeux olympiques qui ont
lieu la même année à Innsbruck, à
50 km de là. C'est le point de départ de toute une gamme : hérisson, tortue,
oie, poussin, pivert, inséparables, phoques, baleines, mais aussi poire, pêche,
ananas, voiture, bateau, cathédrale, harpe ou pièces de jeu d'échecs...
Jouant sur les facettes, l'opacité de certaines zones, les sertissages de perles ou
les coques en métal, le Silver Crystal Line a vu défiler quelque cinq cents
modèles, dont cent vingt sont encore au catalogue, les autres s'arrachant à
prix d'or entre les membres du Swarovski Crystal Society.
Le club de collectionneurs ouvert en 1987 compte aujourd'hui plus de 200
000 adhérents dans
une vingtaine de pays. Certains modèles leur sont proposés en exclusivité.
En 2006, pour fêter les trente ans du bestiaire, une nouvelle génération de
petites figurines
voit le jour. Agneau noir, chaton, veau ou chiot (dix en tout), les
Lovlots, plus que des
animaux, se veulent des personnalités. Ils portent tous un nom, racontent
une histoire et leur
regard de perles semblerait même expressif. Ils étaient présentés au
Lafayette Maison dans
le cadre de la sixième édition des Designer's Days, à Paris. À partir
d'octobre, les Lovlots
seront déclinés en bijouterie fantaisie façon charmes à accrocher sur un sac
ou un bracelet.
Les accessoires représentent la très large majorité des produits finis
Swarovski, bien plus que les
figurines, les objets de décoration ou ceux pour la table. Fleurs pavées,
pendentif cœur, ailes de
papillons multicolores ou sac aux motifs de pictogramme... Rosemarie Le
Gallas, directrice
artistique de la maison, imagine des collections organiques, végétales. Ces
inspirations, tel un
retour aux sources, synthétisent l'homme et son environnement. Car,
finalement, le cristal
Swarovski est un symbole de la révolution industrielle : il affirme la
prédominance de l'homme
sur la nature, la possibilité qu'il puisse un jour la recréer à satiété et telle
qu'il la voudrait.